Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/118

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pêle-mêle, de sorte que beaucoup d'officiers furent obligés d'attendre le lendemain pour se changer et passer toute la nuit avec leurs effets complètement trempés sur le corps. On ne monta pas les tentes. Beaucoup d'hommes ne firent même pas la cuisine, car on tombait littéralement de fatigue. D'ailleurs, comme vivres, nous n'avions que du riz et du sel : pas même du saindoux. En revanche, une armée de moustiques nous tint en éveil toute la nuit, et au point du jour il fallut repartir. L'effectif diminuait sensiblement. A chaque étape on évacuait des hommes en arrière. Pourtant deux compagnons fidèles n'abandonnaient jamais l'avant-garde, c'étaient... la faim et la fièvre. A Ambalambaka. nous pûmes rejoindre les fuyards de la Betsiboka. Ils semblèrent d'abord vouloir prendre position sur un mamelon ; mais à notre approche ils s'enfuirent dans la direction de Suberbieville en laissant quelques morts sur le mamelon et sur la route. L'ennemi, on le voit, était éprouvé comme nous. Ranavalo avait déclaré qu'elle nous opposerait deux généraux invincibles : Hazo (la forêt) et Tazo (la fièvre). Mais ces deux grands chefs ne se faisaient pas faute, non plus, de décimer son armée. Il est vrai que la « petite reine », comme on dit aujourd'hui, voyait d'un œil parfaitement sec ce sacrifice de vies humaines qu'un peu de bonne foi de son gouvernement aurait certainement évité.

Le 9 juin, nous étions devant Suberbieville où les Hovas s'étaient retranchés, au-dessus de la ville, sur une montagne abrupte appelée Mevatanana. Ils y avaient construit des tranchées-abris qui bordaient toute la crête. La position était presque inabordable. Un mauvais sentier seul y conduisait. Pendant que deux compagnies gardaient le convoi, en dehors de la ville, un bataillon attaquait la face sud ; un autre bataillon l'attaquait de front, deux batteries d'artillerie appuyaient le mouvement. Cette artillerie était surtout le point de mire de l'ennemi. Mais quelques projectiles à mélinite produisirent une véritable épouvante parmi les Hovas.