pûmes recruter des travailleurs chinois et thôs, mais les Mans et les Mûongs nous fuyaient comme la peste. Tout le monde me fermait la porte au nez ; j'étais obligé d'aller à Ha-Giang, à deux jours de marche, pour faire les achats.
Notre premier soin fut de construire des cases pour nous loger, mais ces cases en bambou, qu'il fallait terminer dans l'espace d'une journée, ne nous abritaient que très incomplètement. Le jour, le soleil dardait au travers de la broussaille qui leur servait de toiture ; la nuit, l'humidité non moins dangereuse se chargeait de nous tenir en éveil. Enfin il y avait les pluies ! Et l'on sait quelles averses diluviennes tombent dans la haute région du Tonkin. L'intérieur de nos cases présentait un singulier spectacle I Une botte de conserves remplie d'huile et pourvue d'une mèche était appelée pompeusement « la lampe » et consentait de temps à autre à nous éclairer ; je dis de temps à autre, car fort souvent l'eau qui perçait la toiture éteignait notre lumignon. La mèche étant mouillée, impossible de rallumer. On jurait, on pestait, mais c'était peine perdue !
Notre fourniture de couchage se composait d'un lit de camp en bambou, sans matelas ni paillasse ; malgré mon habitude de coucher par terre et n'importe où, le lit me paraissait quand même un peu dur après de longues journées d'un labeur pénible dans une région marécageuse. Les coolies qui travaillaient à la route étaient pour la plupart d'anciens domestiques que leurs maîtres avaient chassés pour indélicatesse. Ils venaient du Delta et n'avaient aucune notion de ces travaux. Il nous fallait donc, nous Européens, mettre la main aux besognes les plus pénibles. Il en résultait de fréquents changements dans le personnel français, car, même avec un tempérament de fer, on ne résistait pas aux fatigues dans ce pays malsain, où la fièvre et la dysenterie faisaient tant de ravages. Plusieurs de mes camarades, et nous n'étions cependant pas nombreux,