Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/156

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quelquefois à franchir ces obstacles et les enlèvements sont encore assez fréquents. Enfin, grâce à une course ininterrompue, nous arrivâmes à Hien-Xoi avant le soir et aussitôt après toutes les portes furent fermées.

A l'étape suivante, à Bac-Mouc où je parvins à cinq heures du soir, le chef de poste, un sergent européen, me dit que j'étais bien imprudent de me hasarder à cette heure sur la route. C'est l'heure, me dit-il, où le tigre commence sa tournée. Le lendemain, je fus obligé de m'arrêter dans un village et de coucher chez un indigène, car la nuit m'avait surpris. Je craignais de me tromper de sentier et les porteurs me déclaraient que, pour rien au monde, ils ne marcheraient, après la nuit tombée. De cette hospitalité, j'emportai force vermine.

La journée suivante, ce fut une marche presque continuelle dans l'eau, ruisseaux et marais, où je m'enfonçais souvent jusqu'aux reins. J'arrivai le soir à Vinh-Thuy, poste occupé par des tirailleurs tonkinois et surnommé tombeau des Européens à cause de son extrême insalubrité. Une compagnie européenne qui précédemment occupait ce poste, avait dû l'évacuer car elle y était littéralement décimée. Le cimetière en donnait tristement la preuve.

Enfin, le jour suivant, après avoir encore marché dans l'eau, j'arrivai à destination. Ma nouvelle résidence était en pleine brousse. Nous étions là dans le pays des Thôs, des Mans et des Mûongs. Les Mans et les Mûongs, que les Annamites appellent « les sauvages », mais que j'ai trouvés beaucoup plus respectables que le peuple annamite, habitent les montagnes. Tous ces gens qui, avant notre arrivée, n'ont dû voir que rarement des Européens, nous témoignaient une méfiance qui ressemblait à de l'hostilité. Plusieurs fois je fus chargé d'aller acheter des vivres pour le poste (nous étions quatre Européens, dont un officier, et quelques centaines de travailleurs annamites). Notre nourriture se composait de riz et de viande de porc. Plus tard, nous