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Thôs ; alors les premiers voulaient rivaliser d’ardeur avec les seconds, mais ils me produisaient l'effet de tortues voulant poursuivre des gazelles. Dès qu'ils touchaient leur paye de quinzaine, le lendemain il en manquait un bon nombre au travail. Ils se disaient malades ; en réalité, ils allaient se cacher dans la brousse pour jouer au baquan, jeu qui ressemble à celui de pile ou face et où les pièces de monnaie sont dissimulées dans un bol.

Entre temps, je changeai de section. Les travaux de cette route de Tuyen-Quang à Ha-Giang qui avaient pour but d'ouvrir une communication par voie de terre entre la capitale du Tonkin et la frontière chinoise du côté de Ha-Giang, étaient en effet partagés en sections comprenant chacune un officier, un gradé, et trois ou quatre soldats choisis.

Je fus envoyé à une trentaine de kilomètres plus loin. Les Thôs ayant compris que la route une fois terminée leur procurerait de grands avantages et nous voyant les traiter avec justice et bienveillance, cherchaient de plus en plus à se rapprocher de nous. Nous pûmes ainsi recruter chez eux des travailleurs autrement actifs que ces fainéants d'Annamites. Au fur et à mesure que nous engagions des Thôs, on congédiait les Annamites ; et je n'en étais pas fâché, car je commençais à en avoir assez de leur comédie de travail, qui portait préjudice au budget de la colonie et allongeait notre séjour dans cette région meurtrière.

Avec les Thôs, les travaux avançaient visiblement, de sorte que le général commandant supérieur et le gouverneur général, M. Doumer, étant venus inspecter les chantiers de la route, nous félicitèrent vivement et nous annoncèrent que nous serions proposés pour le Dragon d'Annam. J'ajoute du reste que nous n'avons jamais eu de nouvelles de cette proposition et que je n'en ai été nullement contrarié. Car cette décoration, décernée au nom d'un soi-disant roi, qui en réalité n'est qu'un sauvage déguisé en guignol, m'est parfaitement indifférente