Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/162

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et j'aurais même quelque gêne à la porter. Je connais bien des militaires qui l'ont reçue et qui, pensant comme moi, ne la sortent jamais de leur tiroir.

Bien que le gouverneur général, M. Doumer, m'ait fait cette promesse en l'air, et je ne lui en veux pas, je m'empresse de déclarer qu'il voulait beaucoup de bien aux soldats. Sous un air un peu rude, il cachait un cœur vraiment bon. Il s'intéressait à nous et à notre installation, surtout dans les contrées malsaines. Il venait de temps à autre nous apporter des paroles d'encouragement ; aussi, ce civil était-il très aimé des militaires. On peut également dire que si la colonie est devenue prospère, c'est grâce à lui et à sa constante vigilance. Quelques-uns l'ont cependant critiqué ; ce qui prouve une fois de plus que les envieux ne manquent jamais, surtout à ceux qui travaillent au loin pour le bon renom et la prospérité du pays.

Outre mon service de surveillant des travaux de route, j'étais encore investi des hautes fonctions d'ordonnateur des pompes funèbres, préparateur des tombes et expéditeur dans l'autre monde des coolies chinois et annamites décédés dans notre section. Il ne se passait pas de semaine sans que j'eusse à exercer plusieurs fois ces fonctions, particulièrement pour les Annamites que la fièvre ne ménageait pas, bien qu'ils fussent dans leur propre pays. Ce qui augmentait la mortalité parmi eux, c'était qu'aussitôt attaqués par la fièvre, ils se couchaient dans leurs cases d'une malpropreté écœurante et refusaient de prendre les médicaments européens, tels que la quinine et l'antipyrine que nous leur offrions. Leurs camarades leur faisaient absorber des tisanes faites d'herbes cueillies dans la brousse et leur récitaient des prières ; en fait, ce traitement n'avait jamais d'autre résultat que la mort. J'étais chargé de les enterrer à un endroit désigné par le chef de village et je rendais compte de ces... mutations à la direction de Tuyen-Quang.

Dans notre camp, nous étions gardés par un caporal