Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/163

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et neuf tirailleurs tonkinois ; en outre, chaque soldat européen avait à faire plusieurs rondes de nuit. Il ne se passait pas une seule nuit sans qu'on eût à signaler soit un abandon de poste, soit une sentinelle dormant en faction. Une nuit, dans ma ronde, je pris le fusil d'une sentinelle que j'avais trouvée couchée par terre ; je sortis ensuite du camp et tirai un coup de fusil en l'air, après avoir au préalable prévenu mes camarades. Les hommes de garde auxquels le lieutenant ordonnait d'être toujours équipés et prêts à défendre le camp à la première alerte, ne sortirent que dix minutes après le coup de feu, et plusieurs étaient sans équipement. Le lieutenant demanda le remplacement du caporal et de plusieurs de ses tirailleurs ; mais leurs successeurs ne valurent guère mieux. Nous ne devions donc nous fier qu'à nous pour notre propre sécurité. Du reste, à part les tirailleurs algériens et sénégalais qui sont des guerriers dans toute la force du terme, je n'ai jamais eu grande confiance dans les autres soldats indigènes des colonies. J'ai dit aussi ce que je pense du caractère du peuple annamite ; or, au point de vue militaire, le caractère est un facteur qu'il ne faut pas négliger.

Enfin je fus arraché à ces pénibles et malsains travaux et je fus dirigé sur Hanoï en passant par Tuyen-Quang, mais cette fois, sans patauger dans les marais et les ruisseaux ; je marchais vraiment sur une route. A Tuyen-Quang, je rendis au commandant Betboy sa marmite et son plat, mais dans quel pitoyable état ? Et, comme je m'en excusais tout en le remerciant du service qu'il m'avait rendu, il me prit la main et me dit avec cette voix sonore que je lui connaissais : — Pas de remerciements ! Je savais que cela vous serait indispensable et c'est la moindre des choses qu'on s'aide entre soldats qui passent la moitié de leur existence dans la brousse.

A l'ambulance de Tuyen-Quang où j'allai voir quelques camarades que je savais gravement malades, j'eus