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vie, car sans lui, nous étions pris comme dans un filet par une force très supérieure à la nôtre. Le capitaine Maitret, avec un sang-froid et une habileté remarquables, nous a tirés de ce guet-apens meurtrier, tout en faisant subir à l'adversaire des pertes énormes. Mais il fallut battre en retraite, car les ennemis étaient plusieurs milliers contre quatre-vingt-deux hommes n'ayant aucun espoir de renfort immédiat.

A propos du capitaine Maitret, je pourrais citer toute une longue liste d'officiers et soldats de cette valeureuse armée coloniale que j'ai vus, au cours de ma carrière, se signaler maintes fois par leurs actes de courage, sans vanité, sans fierté, avec une simplicité qui, à mes yeux, ne faisait que rehausser leur bravoure ; et cependant, presque aucun d'eux n'est connu en France. Dans cette journée du 9 octobre, par exemple, le sang-froid de notre capitaine évita seul un désastre ; nous opérâmes notre retraite par le fleuve, car sur terre elle nous était coupée. Nous étions littéralement entourés, et je me demande maintenant comment nous avons pu nous tirer à si bon compte de cette périlleuse aventure.

Dans cette journée un homme mérita l'admiration de tous ; ce fut notre clairon, nommé Heck, qui blessé deux fois, au dos et à l'épaule, refusa de se faire porter malgré l'insistance du capitaine, disant qu'en cette circonstance chaque fusil avait une valeur inestimable. Vers cinq heures du soir seulement, nous atteignions notre poste qui, à ce moment, était Pé-Sé. Nous étions dans un état plutôt lamentable, mouillés de part en part, exténués de fatigue, et n'ayant rien mangé de la journée. Le capitaine nous fit immédiatement distribuer un peu de vin et quelques biscuits, ainsi que cinquante cartouches par homme (nous avions épuisé toutes nos munitions, y compris celles des blessés). Puis, il fallut séance tenante nous remettre en route, car au poste on nous annonça qu'un renfort parti de Hoï-Téou venait à notre rencontre. De crainte qu'il