Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/177

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La plus grande familiarité régnait entre tous, sans que jamais la discipline en ait souffert. Et ceci s'explique d'un mot : les soldats aimaient leurs chefs et les chefs aimaient leurs soldats.

Pendant que notre capitaine se découpait en riant un morceau de viande et s'apprêtait à le porter à la bouche... zzzin, zzzin, pan, pan... une vraie pluie de balles arrivant de toutes parts tombe autour de nous. « Couchez-vous », tonna-t-il, et la sarabande commença. Les Chinois, qu'on croyait démolis après un tel bombardement, avaient pris solidement position dans des tranchées qu'ils avaient creusées au milieu des ravins en avant de la ville et nous y attendaient de pied ferme.

Aussitôt, nous nous déployâmes en lignes de tirailleurs et l'on prit la position du tireur couché. Nous commençâmes alors un feu à volonté sur les tranchées. A en juger au sifflement des balles, l'ennemi devait être beaucoup plus en nombre qu'au combat de Na-Moun. Un camarade auprès de moi eut la crosse de son fusil cassée par une balle. Un adjudant, nommé Rozier, fut mortellement blessé. Dans mon escouade, un soldat nommé Pister poussa un cri déchirant ; ce brave garçon avait aussi son compte. Quelques instants après, ce fut le tour de mon sergent de section. Les balles pleuvaient avec rage. Je voulus à un moment donné allonger le bras pour en ramasser une et la garder comme souvenir. Aussitôt, une autre tomba à quelques centimètres de ma main. Il faut dire, à l'honneur des camarades qui n'avaient pas encore vu le feu, que malgré le péril auquel on était exposé, une véritable gaieté ne cessa de régner dans les rangs des tirailleurs. On riait, on plaisantait, on se jetait les balles aplaties qui tombaient à nos côtés. Personne ne songeait au danger. Les officiers encourageaient tout le monde par un ton de familiarité et par l'exemple de leur entrain. C'est en campagne qu'on peut le mieux reconnaître l'intérêt que les chefs portent à leurs hommes ; c'est là qu'on voit et qu'on