Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/178

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apprécie la force des liens dans cette grande famille qu'est l'armée, où les uns se dévouent pour les autres jusqu'à se faire tuer pour eux.

Vers dix heures, le feu de l'ennemi nous arrosait de front et sur les deux flancs. C'est alors que notre réserve entra en scène. L'artillerie avait épuisé ses munitions jusqu'au dernier obus, tandis que l'ennemi avait reçu du renfort. Le jeu des Chinois était facile à deviner ; ils cherchaient, comme à Na-Moun, à nous couper la retraite et à nous entourer. Devant cette situation critique, force nous fut bien de nous replier et d'attendre des renforts venant du Tonkin. On tint bon cependant jusqu'à quatre heures de l'après midi, jusqu'à notre dernière cartouche, après quoi il fallut évacuer. Les Chinois, sortant alors de leurs tranchées, nous envoyèrent une grêle de balles qui blessèrent encore plusieurs hommes, mais ils n'osèrent pas nous poursuivre à fond et nous reprîmes la route de Pé-Sé où nous pûmes arriver dans la soirée. Dans cette journée, nos canons avaient tiré près de cinq cents obus. J'ignore ce qui fut brûlé de cartouches en tout, mais mon escouade seule en avait tiré 1 263 pour treize tireurs. Curieuse coïncidence ! cette journée était l'anniversaire de notre débarquement sur le territoire de Quang-Tchéou-Wan. Il y avait un an, jour pour jour, que ma compagnie s'était installée seule au milieu d'une population hostile, prête à tout, mais se demandant ce que le sort lui réservait.

Le lendemain, le capitaine nous félicitait de notre conduite au feu et il blâmait un soldat qui avait changé de place pendant l'action, sous prétexte que les balles pleuvaient trop autour de lui.

Dans la même journée, l'amiral envoya la canonnière Le Stock à la poursuite de jonques qui allaient à Hong-Kong chercher un chargement d'armes. Le lendemain, l'adjudant Rozier et le soldat Pister mouraient de leurs blessures. L'adjudant Rozier était un serviteur modèle, d'une énergie et d'une vaillance connues