Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/183

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A midi précis, nous entrions dans ces fameuses tranchées que les Chinois disaient imprenables, aux cris de : Vive la France ! Vive le colonel ! Vive le capitaine Maitret ! Le colonel fit mettre un drapeau au bout d'une perche et le clairon sonna au drapeau. J'ai maintes fois entendu cette sonnerie, mais jamais elle ne m'a plus profondément ému que ce jour-là. Elle était accompagnée d'un cri qui sortait de plusieurs centaines de poitrines : Vive la France ! Le colonel y répondit : « Mes enfants, je suis content de vous. »

Les tranchées, creusées selon toutes les règles de l'art moderne, prouvaient bien que nous avions en face de nous des troupes aguerries. Le coup d'œil à l'intérieur était effrayant. Des cadavres, dont les visages étaient contorsionnés et ensanglantés (ce qui me fit supposer que c'étaient des hommes blessés mortellement qu'on avait achevés à coups de crosse pour ne pas nous les abandonner vivants), étaient allongés sur les parapets et au fond des tranchées, les uns face au ciel, les autres tournés vers le sol comme s'ils mordaient la poussière ! L'ennemi avait abandonné quatre canons ainsi qu'un grand nombre de fusils de plusieurs systèmes, entre autres des fusils dits de rempart dont les canons ont de 3 à 4 mètres de longueur.

Cependant la journée n'était pas achevée pour nous. Le colonel nous laissa reposer pendant deux heures ; ensuite nous marchâmes sur Van-Luoc, principal point d'appui de l'armée chinoise de Quang-Tchéou-Wan, après avoir encloué les quatre canons et détruit tous les fusils. Cette demi-journée nous avait malheusement coûté deux tués et douze blessés, dont un officier. Plusieurs mulets de l'artillerie étaient également blessés. Le P. Ferrand, toujours avec nous, s'était de nouveau distingué dans cette affaire. Suivant lui, l'ennemi avait dû perdre environ quatre cents hommes, tant tués que blessés.

Nous prîmes le chemin de Van-Luoc dans l'ordre de déploiement du bataillon, les compagnies à intervalle