Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/191

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cette tentative irrévérencieuse valait 25 000 francs et il le fit savoir par les soins de l'amiral au gouvernement chinois. Celui-ci, il faut le croire, fut aussi de cet avis, car il accorda cette somme sans discuter. Un camarade me dit en riant qu'après tout le sieur B... s'était montré peu exigeant et qu'il aurait bien pu, pardessus le marché, réclamer la croix de la Légion d'honneur. Dame ! C'est un titre que de posséder une femme qui en une nuit rapporte 25 000 francs, alors que, tout à côté, de pauvres soldats ne touchent même pas l'indemnité de vivres pour les jours où ils ne mangent pas, pas plus que l'indemnité de couchage pour les nuits où ils dorment par terre et à la belle étoile. Je serais bien étonné si à l'heure où j'écris ces lignes, ce colon de marque et de contremarque n'était pas devenu un personnage. Car c'est ainsi que cela se passe ordinairement dans nos nouvelles colonies. Le soldat s'y bat, y meurt, est oublié ; cela semble naturel ; mais le civil qui y débarque... quand le canon s'est tu, qui y est en parfaite sûreté, qui s'enrichit en empoisonnant les troupiers avec des alcools frelatés, celui-là, quelques années après la pacification, vient parler de ses services, de ses titres exceptionnels à une récompense et, si on ne l'arrête pas, il est prêt à s'embarquer sur le chemin de la postérité. C'est, tout craché, le Tartarin de la colonisation.

Au mois de janvier 1898, des affiches furent apposées sur les murs de tout le territoire de Quang-Tchéou-Wan annonçant la nomination du prince Li Hung-Tchang comme vice-roi de la province de Canton contiguë au territoire de Quang-Tchéou-Wan. Cette nomination fut un véritable événement dans le pays, car Li-Hung-Tchang était partisan du progrès européen et, à ce titre, assez détesté de ses compatriotes. Or, la province de Canton possédait de nombreuses sociétés secrètes, riches et puissantes, qui entretenaient des bandes de pirates bien commandées,