Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/192

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bien armées, agissant avec audace et rapidité et très difficiles à surprendre.

Après la cessation des hostilités, on renvoya les rapatriables et les libérables qu'on avait retenus par nécessité. Je les vis quitter la compagnie avec une émotion et des regrets sincères, car beaucoup étaient mes amis. J'avais bien de temps à autre échangé des mots assez vifs avec quelques-uns des partants, mais ces paroles venaient seulement des lèvres et non pas du cœur. Dans les pays exotiques, où la vie n'est pas toujours drôle, on devient parfois grincheux sans s'en apercevoir. Mais peut-on sérieusement s'en vouloir, quand on a combattu côte à côte sous le feu de l'ennemi, chargé ensemble à la baïonnette et partagé les mêmes joies dans la victoire ? Non, et en voyant mes camarades se séparer de moi, en voyant partir aussi notre lieutenant Lorin qui changeait de compagnie, je sentais une vraie tristesse s'emparer de tout mon être. Cela se passait le matin et, pendant toute cette journée, je restai dans mon coin, grognon, maussade et sans appétit.

Le 4 février 1900, nous reçûmes la visite du gouverneur général de l'Indo-Chine, M. Doumer, qui nous adressa des compliments. Il se montra fort satisfait et fut très aimable pour nous. Il fit réunir tous les chefs de village pour leur donner des instructions. Je remarquai que les indigènes le regardaient avec surprise. L'interprète avait probablement annoncé l'arrivée d'un vice-roi de France. Ils s'attendaient à le voir chamarré d'or, entouré de pompe et de magnificence. Aussi furent-ils déçus en se trouvant en présence d'un personnage habillé comme tout le monde. Tous ces Orientaux n'en revenaient pas ! Conclusion : pour assurer leur prestige dans nos nouvelles colonies, les gouverneurs devraient porter un brillant uniforme, même quand ils n'en ont pas le goût ! La visite de M. Doumer fut cependant bienvenue, car il décida que la population ne payerait la première année qu'un impôt très minime.