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La semaine suivante, ce fut le tour du général Borgnis-Desbordes commandant en chef des troupes de l'Indo-Chine. Il avait pris des mesures très populaires, telles que la création de bibliothèques dans les postes ainsi que le transport gratuit des colis pour les militaires. Il améliorait notre sort par tous les moyens en son pouvoir. Lorsqu'il visita notre poste et qu'il vit les hommes couchés par terre, sans aucune fourniture de literie, il demanda au capitaine depuis combien de temps nous vivions ainsi, privés de matériel de couchage. « Depuis seize mois », lui fut-il répondu. Le général ne répliqua rien, mais se croisa les bras sur la poitrine et nous regarda avec compassion. Il savait bien que ce n'était la faute de personne, excepté des Chinois. De notre côté, personne ne songeait à se plaindre car l'essentiel : vaincre l'ennemi, avait été réalisé. Et, à ce propos, je crois qu'il faudrait bien obtenir le même état d'esprit en France, où l'on commence à dorloter beaucoup trop le soldat et à l'exposer à être désagréablement surpris par les fatigues et les privations d'une campagne.

Peu de temps après, nous recevions des matelas et des paillasses. Aussi, fallait-il voir notre joie ! Le matin, quand le réveil sonnait, personne ne voulait plus se lever. On était si bien sur les matelas ! Et il y avait si longtemps qu'on en avait perdu l'habitude !

Au nouvel an chinois (notre mois de février), les mandarins apportèrent au capitaine les cadeaux d’usage, qu'on ne doit jamais refuser sous peine de se créer des ennemis. Les habitants s'attachaient de plus en plus à nous. D'autre part, nous faisions notre possible pour les gagner à la cause française ; tout semblait donc marcher à souhait et l'année s'ouvrait sous de favorables auspices.

Dès que notre poste fut terminé (il coûtait juste 4 000 francs), nous nous y installâmes. Le capitaine nous ménageait et nous disait gaiement : « Il y a temps pour tout, quand on a trimé, il faut se refaire ! »