Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/265

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des alliés, des camarades. Vos collègues et vos troupes de passage chez nous ont toujours été traités comme tels par mes officiers et mes soldats ; mais au point de vue politique, je fais sur ce territoire mon devoir de chef ; je ne me mêle pas de ce que vous faites sur le vôtre, agissez de même ». Tout en traduisant ces paroles en allemand, je ne cessais de fixer les deux officiers gantés de blanc. Et, dès que j'eus fini, je cherchai à me rendre compte de l'impression que ce petit discours avait produite. Ces messieurs étaient cloués sur place et se consultaient des yeux d'un air embarrassé, sans prononcer un mot et sans regarder le commandant. Mais je connaissais notre chef. Je savais qu'il n'était pas d'un caractère agressif et qu'il connaissait, autant qu'homme du monde, le savoir-vivre. Aussi, ajouta-t-il aussitôt : « Maintenant, messieurs, l'incident est terminé, n'est-ce pas ? Souvenons-nous que nous sommes camarades. » Et il les invita à partager son frugal déjeuner. Dix minutes après, officiers français et allemands choquaient joyeusement leurs verres et le commandant buvait à la bonne entente qui a toujours existé en Chine entre les troupes des deux nations. Ses hôtes lui annoncèrent qu'ils avaient capturé une bande de Boxers et qu'une autre bande leur était signalée en embuscade près de Tong-An.

Sur ce, nous continuâmes notre route. Vingt kilomètres plus loin, nous atteignîmes un village dont tous les habitants avaient pris la poudre d'escampette. Nous savions qu'une bande avait passé la journée dans ce village et y avait tout dévasté. Prévenue de notre approche, elle s'était enfuie. Ce jour-là, nous parcourûmes plus de 50 kilomètres. Le lendemain, nous continuâmes notre route, croyant rejoindre la bande, mais elle fuyait à mesure que nous avancions ; aussi se décida-t-on le jour suivant à reprendre la route des Tombeaux. Cette reconnaissance fut la plus longue et la plus pénible de toutes celles que j'ai faites en Chine. En trois jours, nous avions parcouru 140 kilomètres