Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/275

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marquées à la fusion des races ; pour tout dire, les Européens semblaient être chez eux, et les Chinois en pays étranger. C'était le renversement des rôles.

Il n'en était pas de même dans l'intérieur, car à mon retour à Lou-Kou-Kiao, j'appris qu'un commerçant français qui se rendait avec des marchandises à Chou-Chéou avait été, non loin de notre poste, attaqué par une bande armée de fusils Mauser. Ayant pu s'échapper par miracle, il nous raconta que cette bande exhibait un étendard avec cette inscription : « Ceux qui meurent de faim, venez à nous ; vous aurez à manger, un cheval et un fusil ». La nuit du lendemain nous entendîmes une fusillade à proximité de notre poste. C'était très probablement la même bande qui, après l'agression contre le commerçant français, cherchait maintenant à dévaster les villages. Nous vécûmes plusieurs jours sur le qui-vive, car malgré toutes les ruses possibles, nous n'arrivions pas à la dépister. Le jour comme la nuit, elle nous échappait. Enfin la diminution constante de notre ration de vivres (pour augmenter peut-être celle des pauvres soldats qui s'étaient trop fatigués pendant les fêtes de Pékin) contribuait encore à nous aigrir le caractère.

Une nuit, pendant une patrouille, nous trouvâmes démolie une partie de la voie ferrée qui passait près de notre poste ; les éclisses avaient été dévissées et emportées. Le lendemain une embuscade fut tendue, mais sans succès. Le même jour, un ordre général fut porté à notre connaissance disant que tout homme qui sortirait sans autorisation de son cantonnement serait puni de prison. Cette mesure avait été prise à la suite des assassinats qui se multipliaient aux environs de certains postes. D'autre part, nous apprenions que plusieurs camarades s'étaient suicidés. Cette façon d'en finir avec l'existence semblait être contagieuse, car à mon retour à Takou j'appris qu'il en avait été de même dans toutes les troupes des nations alliées.