Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/280

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notes que j'ai inscrites sur votre livret », et, en me serrant la main, il me lut ceci : « est rapatriable pour fin de séjour de quatre ans ; s'est montré soldat modèle pendant toute la campagne ; est proposé pour caporal et pour la médaille militaire ».

La dernière poignée de main aux camarades dont j'avais tant de fois partagé les dangers et les souffrances me serra réellement le cœur ! Ce n'était pas la première fois que j'éprouvais cette sensation au moment douloureux où il faut se séparer de ses compagnons de misère et de joie. Je me suis rappelé de ce que dit le général Dragomiroff dans son fameux Memento militaire : « A vivre côte à côte, en communauté de situation et de sentiment, alors qu'on a besoin d'expansion, d'affection et qu'on a la foi, la confiance de la jeunesse, comment ne se lierait-on pas bien vite de franche amitié ? La camaraderie en face du danger est la condition indispensable et suprême pour atteindre un but quelconque à la guerre. Tout ce qu'on apprend aux troupes en temps de paix n'a qu'un seul but : préparer les hommes individuellement, aussi bien que les différentes unités, à s'entr'aider avec un entier dévouement et une juste entente de la situation. La camaraderie est nécessaire du haut en bas de l'échelle. Qu'on se rappelle les lieutenants d'Alexandre et ceux de Napoléon. »

Je me rendis à la gare de Lou-Kou-Kiao, accompagné de nombreux camarades et portant mon ballot que la parcimonie du service de l'arrière avait rendu si maigre ; puis le train m'emporta vers Pékin. J'avais l'air d'un mendiant ou d'un déserteur. Il ne me restait rien de passable à me mettre sur le dos ; mes effets et mes chaussures étaient dans un pitoyable état. De Pékin, je descendis à Tien-Tsin, toujours en chemin de fer. Dans le même wagon, très vaste du reste, se trouvaient des soldats de presque toutes les nations alliées. On chercha aussitôt à lier conversation en employant le « sabir » chinois que chacun avait plus