Maintes fois, j’ai vu des camarades tués au feu, mais cette mort sur le champ de bataille ne m’a jamais impressionné aussi douloureusement que celle qui enlève un homme jeune, ne demandant qu’à vivre, à la suite de quelque maladie contractée en campagne. Et je ne me suis jamais expliqué pourquoi la mort des uns est plus honorée que celle des autres. Tous ne sont-ils pas également victimes de leur devoir ? Et même celui que la maladie emporte ne souffre-t-il pas plus que ceux qui sont frappés par les balles ?
À Saigon, nous laissâmes encore plusieurs malades. Le 23 nous étions à Singapour, le 26 à Sumatra, et le 29 à Colombo, où l’on fit entrer quelques hommes dans un hôpital anglais.
Au départ de Colombo, la mer fit encore des siennes. La plupart des camarades se plaignaient de fatigue dans tous les membres. Ceci est le dessert de chaque campagne. Toutefois, il y avait une différence énorme avec ce que j’avais vu à mon retour de Madagascar, où, pendant la traversée, on jeta à la mer plus de quarante hommes morts de fièvre ou de cachexie générale. À bord du navire nous étions considérés comme des voyageurs, et non plus comme des bêtes de somme ainsi que cela avait eu lieu sur les cargos de la Compagnie Nationale. La nourriture était convenable et on ne nous demandait pas de travaux pénibles ; aussi le contentement était-il général et les soldats aidaient-ils spontanément les hommes de l’équipage.
Le 3 juillet, nous eûmes encore à déplorer la mort d’un matelot. Au cap Guardafui, la mer devint si dure que le bateau n’avançait plus. On fut obligé de faire un détour de cent milles pour trouver une route moins mauvaise. La vergue du grand mât était cassée, les voiles déchirées et le gouvernail obéissait mal à la manœuvre. Cependant, le 14 juillet, nous atteignions Port-Saïd où des navires anglais et allemands étaient pavoisés aux couleurs françaises à l’occasion de notre fête nationale. Notre drapeau flottait aussi en