Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/298

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d'un officier de l'expédition de Chine que nous connaissions tous deux. Il était, disaient-elles, leur frère et elles nous prièrent avec insistance de les accompagner chez leur mère qui serait très heureuse de recevoir de nous quelques nouvelles de son fils. J'exprimai sous prétexte d'un rendez-vous mes regrets de ne pouvoir accéder à ce désir, mais mon camarade consentit à les suivre, et le lendemain voici ce qu'il me raconta. Ces dames l'avaient fait monter en voiture et l'avaient conduit hors de la ville, devant une maison à un étage. Là, il fut introduit dans une pièce où un comparse tapotait quelques notes sur un piano. On ne lui donna même pas le temps de se reconnaître. Les deux dames s'éclipsèrent ; aussitôt, deux individus armés de poignards surgirent d'une pièce voisine et lui intimèrent l'ordre de leur remettre tout son argent, sinon... L'alternative était claire et le camarade était sans armes. Comme cependant il ne faisait pas mine d'obéir, les deux bandits se précipitèrent sur lui, le ligotèrent, et le dépouillèrent de son portefeuille contenant deux cents francs. Puis, on le hissa dans la voiture qui repartit au trot dans l'obscurité et arriva sur un terrain vague où les deux hommes le déposèrent. Mon camarade ayant réussi ensuite à se débarrasser de ses liens regagna les faubourgs de Marseille et raconta son aventure au premier agent de police qu'il rencontra. Celui-ci le consola par une plaisanterie : — Si vous n'y étiez pas allé, dit-il, cela ne vous serait pas arrivé. — Le lendemain, cependant, on fit des recherches ; mais le coup avait été bien monté en profitant de l'obscurité de la nuit ; il fut impossible de retrouver aucun indice. D'ailleurs, à Marseille on s'attaque souvent aux militaires débarquant des colonies. Les entôlages n'y sont pas rares, mais ne sont pas dénoncés. Certains n'aiment pas à les ébruiter ; d'autres ont peur d'être retenus par l'instruction, alors qu'ils ont hâte d'aller se reposer chez eux. Je devais jouir de mon congé de convalescence à