Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/299

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Paris. J'en profitai pour aller voir mon ancien chef de Madagascar, le général Oudri, qui commandait alors la division d'Orléans. Il me reçut d'une façon qui me toucha profondément. Il m'invita à sa table, et comme je me confondais en remerciements, il me répondit : « Je serai toujours heureux de revoir des soldats comme vous. » J'allai visiter encore plusieurs autres chefs dont j'ai gardé le plus durable souvenir et que je voulais remercier d'avoir bien voulu penser à moi en m'envoyant des lettres d'encouragement pendant la campagne de Chine. Partout, je reçus un accueil chaleureux dont je me souviendrai toujours.

Au cours d'un de ces voyages, je me trouvai en chemin de fer avec un monsieur accompagné de toute une smala, qui se mit en quatre pour entamer une conversation avec moi. Voyant quelques médailles sur ma poitrine, il me dit : — Avez-vous fait la campagne de Chine ? — Oui, répondis-je simplement. — Aussitôt, d'un ton solennel, mais qui ne m'en imposait en rien, ce monsieur me parla longuement de la Chine comme un homme qui a tout vu et qui sait tout. En réalité, ce hâbleur ne savait rien et n'avait rien vu, ce qui ne l'empêchait pas de se faire valoir et d'être écouté comme un oracle par toute sa smala. C'est ainsi, malheureusement, que s'accréditent les fausses légendes et qu'on dénature l'histoire.

A Paris, un heureux hasard me fit rencontrer mon ancien ami Crista, celui qui m'avait donné mes premières leçons de soldat à la Légion. Après quinze ans de services et vingt-deux campagnes, il s'était retiré à regret. Puis, il s'était marié avec une charmante Parisienne qui lui avait donné deux enfants.

Il me confia son histoire depuis sa sortie du régiment. Etant d'abord sans argent et sans situation, il s'était adressé à la Maison du Soldat pour obtenir un emploi qui ne vint pas ; il avait connu alors la misère des grandes villes jusqu'au jour où l'un de ses anciens chefs réussit à le placer comme surveillant dans une