Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/315

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indigènes, le sachant peu soutenu, ne cherchent qu’à lui jouer des tours de leur façon. Je sais bien que de temps à autre on apprend que tel ou tel militaire a commis une frasque. Mais que l’on me cite une administration quelconque pouvant répondre de la parfaite conduite individuelle de tous ceux qui en font partie ? Aussi est-il souverainement injuste de mettre à l’index toute une garnison parce que certains soldats commettent de temps à autre quelques fautes de jeunesse.

Un camarade avec lequel j’étais très lié et qui, après s’être fait libérer à Saïgon y était employé dans une administration locale, me tint à ce propos un langage qui me stupéfia. Il s’était marié et un jour que je le rencontrai avec sa femme, il me prit à part d’un air mystérieux : — Je te prierai de ne pas nous accompagner, me dit-il, car tu ne peux t’imaginer quels ennuis cela peut m’occasionner ! Ici être accompagné d’un soldat, c’est se compromettre ; aussitôt, vous êtes coté et adieu les gratifications et l’avancement ! — Un jour, Saïgon fêtait l’arrivée d’un personnage étranger dont je parlerai plus loin. La fête avait lieu dans le jardin du gouverneur et la musique militaire prêtait son concours. Les soldats payaient l’entrée comme les civils ; on jouait et on dansait. Un soldat, d’une famille très honorablement connue à Lyon, priait une jeune fille de lui accorder une valse. — Ma fille ne danse pas, répondit la mère. — Pardon, madame, répliqua le soldat, mademoiselle ayant dansé tout à l’heure avec… — N’insistez pas, interrompit sèchement la dame, ma fille ne dansera pas ; d’ailleurs elle est… reteinte. — Sur cette réponse réjouissante, le jeune Lyonnais pouffa de rire et tourna les talons.

Au théâtre, la seule place permise aux troupiers était la dernière galerie ; au café, les civils s’écartaient d’eux d’un air de mépris ; dans la rue, ils évitaient soigneusement de marcher à la même hauteur. Aussi les soldats préféraient-ils les Chinois aux Européens ;