Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/314

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

A chaque instant, je m'étonnais de ce que je voyais et de ce que j'entendais. Vraiment, était-ce bien la même infanterie coloniale que j'avais connue au Dahomey, à Madagascar, au Tonkin, à Quang-Tchéou-Wan et en Chine ? Tout me semblait subitement bouleversé et je me demandais, sans trouver de réponse, comment une pareille métamorphose avait pu se produire. Je me suis ouvert à ce sujet à plusieurs de mes anciens chefs qui se trouvaient alors dans d'autres colonies, et qui voulaient bien me faire l’honneur de correspondre avec moi. Ils me répondirent qu'en effet cette mentalité était spéciale à la Cochinchine, et qu'ailleurs l'esprit militaire et de camaraderie était aussi bon qu'avant. Ces réponses me soulagèrent car je souffrais de voir cet état de choses. Faute d'aliments à l'activité de la troupe, on s'hypnotisait sur des vétilles ; les menus détails du service intérieur prenaient une importance que j'avais été loin de leur soupçonner jusqu'alors. Tout cela alimentait les conversations et, ce qui était plus fâcheux, les folios de punitions des hommes. Bref, cette vie de garnison était tout à l'opposé de celle que j'avais connue en campagne, où l'initiative prime tout et où le contact permanent entre les chefs et la troupe suffit à maintenir la discipline et à éviter les punitions.

Un camarade qui était dans sa quinzième année de service et qui avait fait plusieurs campagnes, m'affirma aussi que c'était seulement en Cochinchine et au Sénégal que ces allures de ronds-de-cuir s'étaient introduites parmi les soldats des troupes coloniales, mais que dans toutes les autres colonies où il avait passé, les marsouins avaient gardé leur vigueur et leur entrain.

Je fus aussi péniblement impressionné de l'attitude hostile de la population européenne saïgonnaise envers la troupe. Il faut avoir vécu comme soldat dans une garnison où ces animosités existent, pour savoir combien elles rendent la vie dure aux militaires ; aux colonies, cette situation est d'autant plus pénible que le soldat se trouve éloigné de sa patrie, et que les