Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/320

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imposer d’autres qui vont à l’encontre de leurs habitudes journalières, de leurs traditions, et auxquelles leur esprit n’est aucunement préparé. Ce bouleversement de la mentalité indigène se poursuit en vertu d’instructions données de Paris par des administrations qui ignorent tout des colonies et qui résument leurs conceptions par cette formule : — Il nous faut l’assimilation. — Or, on ne saura jamais en France combien cette chimère de l’assimilation quand même a retardé l’essor de nos colonies et combien de haines et de révoltes elle a provoquées.

Un fait que je tiens à noter, c’est la réception du général russe Stoessel, le défenseur de Port-Arthur, par la population européenne saïgonnaise. Cette réception coïncida avec l’arrivée à Saigon du commandant Bernard de l’artillerie coloniale, qui était chargé par le gouvernement français de la délimitation de notre nouvelle possession de Battambang. On sait que cette province a été échangée contre la région française du Siam, mais ce qu’on ne sait pas, c’est que le commandant Bernard a mené cette mission délicate avec un savoir-faire et une énergie remarquables. Eh bien, la présence à Saigon du commandant, envoyé officiel du gouvernement qui allait donner un nouveau territoire à la France, passait complètement inaperçue, tandis que celle d’un étranger était fêlée… et comment ! Certes, je suis de ceux qui désirent voir s’établir entre tous les peuples civilisés une amitié sincère et solide, et je n’ai jamais fait profession de foi que les hommes ont été mis sur la terre pour s’entre-tuer. La guerre et toutes les horreurs qu’elle entraîne, je la connais pour l’avoir vue de près, pour avoir été assez longtemps acteur dans ces terribles drames. Aussi, n’aurais-je rien trouvé à redire contre la réception du malheureux général Stoessel si, en même temps, la population avait daigné s’apercevoir si peu que ce fût de l’arrivée d’un compatriote qui allait subir d’énormes fatigues et s’exposer à la mort pour le bien de la