Dès trois heures, tout le détachement pour Géryville était debout. Crista m'aida à faire mon havresac, et il pesait lourd étant donné qu'il fallait emporter tout le grand et le petit équipement. Il roula le couvre-nuque sur mon képi, me donna des conseils sur la façon de me comporter en route, et m'accompagna en portant mon havresac jusqu'au sommet de la montagne surnommée Crève-Cœur. Là il fallut prendre congé. Brusquement je suis passé de la gaieté à la tristesse, car je m'étais habitué à lui comme si notre liaison devait indéfiniment durer. C'était un camarade sûr et expérimenté, un gaillard robuste avec un air d'enfant sage. Il cherchait à dissiper ma tristesse et m'exhortait par des paroles paternelles. — La vie du légionnaire est ainsi faite, conclut-il, disons-nous au revoir. — Et nous nous embrassâmes.
Je me chargeai de mon havresac et continuai ma route en passant par Aïn-el-Hadjar, où se trouve un poste de gendarmerie. C'est un petit coin charmant, habité par quelques Espagnols ; mais, à la sortie du village, nous entrâmes dans une contrée triste : des cailloux, du sable et çà et là, quelques pieds de thym. Les gradés exceptés, le détachement, composé presque entièrement de jeunes soldats, marchait péniblement. Quelques-uns ne pouvaient plus avancer. Les sous-officiers leur attachaient autour du corps la ceinture de laine que tout militaire porte en Algérie, et les tiraient ainsi pendant une partie de la route. En arrivant à l'étape, nous montâmes immédiatement nos tentes-abris et nous nous dispersâmes. Les uns allaient chercher du thym en remplacement de bois pour faire la cuisine, car le bois est inconnu dans ces parages (pour allumer le thym, il faut employer la bouse des chameaux ; on la ramasse tout le long de la route et on la conserve dans les musettes). Les autres allaient chercher de l'eau (qu'on tirait à des puits profonds, en se servant d'une longue corde au bout de laquelle on attachait un mulet). L'eau était jaunâtre et trouble,