Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/40

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Géryville et je m'occupai de chercher un confident dans le genre de Crista. Avant le départ, celui-ci m'avait dit à Saïda : — Tu trouveras toujours un camarade qui deviendra ton ami à la Légion. — Mais je voulais quelqu'un connaissant bien l'Algérie, et je ne tardai pas à le trouver sous le nom de Vendel, un Alsacien. Il aimait à lamper de temps à autre un liquide verdâtre qu'un Espagnol fabriquait lui-même et qu'il débitait sous le nom d'absinthe, mais, au demeurant, Vendel était un charmant garçon et un honnête homme. Il aimait à rendre service et passait pour un excellent soldat. Je cherchai à me l'attacher, et, en peu de temps, nous fûmes une paire d'amis.

Dans la même chambrée que nous deux garnements, G. et S., l'un Bavarois, l'autre Saxon, cherchaient querelle à tout le monde. Ils faisaient leur service avec mauvaise volonté, se regimbaient contre tout ordre, se refusaient à monter la garde, et s'absentaient parfois plusieurs jours. Les goums (gendarmes auxiliaires arabes) étaient obligés de les ramener.

Crista avait raison de dire que la mauvaise graine pousse partout. A la Légion, comme partout, ce sont toujours les mêmes clients qu'on voit en prison. Mais une nuit, G. et S., étant de garde, quittèrent leur poste en emportant leurs armes et munitions. Ils restèrent une dizaine de jours absents et allèrent piller et tuer quelques indigènes dans leurs gourbis. Cette fois, ramenés ligottés par les Arabes, ils passèrent devant le conseil de guerre à Oran, pour pillage et assassinat, et furent condamnés à mort. Conduits après la condamnation à Géryville, ils y furent fusillés par douze légionnaires en présence du général de brigade et de tous les caïds de la contrée. J'assistai pour la première fois à une exécution. Leur attitude en allant à la mort fut très courageuse. Ils chantaient des chansons anarchistes et jetaient de la menue monnaie aux soldats chargés de l'exécution en criant : « Buvez à notre mort. » Ils refusèrent de se faire bander les yeux.