Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/42

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vingt ans plus jeune, dit-il, et si je n'avais pas d'enfant, ie m'engagerais à la Légion. »

Ensuite il commença une tirade sur la société d'Europe qu'il maudissait, où le travailleur peine en pure perte pour relever sa condition. Il en avait assez d'une existence de serf, dérisoirement salarié, incapable de faire souche, de vivre de la vie humaine. Et c'est ainsi qu'il avait émigré avec sa fille dans le Sud-Oranais. — J'étais sans le sou, dit-il, mais pas sans courage, et maintenant nous vivons d'une vie tranquille et modeste, loin du bruit, du tracas et du servage. Je ne vois plus de ces figures hypocrites, de ces gens qui sourient et vous serrent les mains, et qui vous souhaitent tout le mal possible. — Cependant, lui fis-je remarquer, votre fille ne restera pas toujours auprès de vous ; vous n'ignorez pas qu'elle est très belle ! Quelqu'un la remarquera un jour et vous l'enlèvera. — Ma fille, répondit-il, déteste la société autant que moi. — Cependant, trois ans plus tard, étant retourné à Géryville, je la trouvai mariée à un Espagnol. Mais elle avait beaucoup perdu ; sa démarche était moins gracieuse et son visage de madone s'était épaissi.

Mon séjour à Géryville était assez monotone. Pendant la semaine, nous faisions des exercices de service en campagne le matin ; l'après-midi, tout le monde travaillait à la démolition des vieux baraquements qu'on devait remplacer par des constructions neuves. Le soir, je m'ennuyais mortellement. Le dimanche, j'allais avec Vendel dans les montagnes tirer des vautours, pour la destruction desquels le bureau arabe donnait de petites primes. D'autres camarades allaient chasser les chacals et obtenaient les mêmes avantages. Je note à ce propos un incident qui montrera ce que valent les Arabes du Sud-Oranais.

Un camarade, nommé Hainaff, allait toujours seul à la chasse. Un jour, il rencontre dans la montagne un Arabe qui lui demande une cigarette. Hainaff la lui refuse ; alors, rapide comme l'éclair, l'Arabe sort un