Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/48

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pour aller à Frendah, village admirablement situé à côté d’une forêt, surnommée la forêt de Génie, où nous faisions des chasses miraculeuses sans fusils. A quatre ou cinq, armés de matraques, nous y allions au coucher du soleil, et, déployés sur une centaine de mètres, muets comme des carpes, nous guettions les lapins qui y pullulent ; chacune de ces chasses nous assurait un festin pour le soir.

Après un court séjour à Frendah, je fus envoyé à El-Oussek, pour garder des disciplinaires. La veille du départ, un Arabe, garçon de l’unique hôtel de Frendah, vint me prévenir qu’un monsieur et une dame désiraient me parler à huit heures du soir, à l’hôtel. Cette nouvelle m’intrigua. Un monsieur et une dame, logeant dans un hôtel, à Frendah, et connaissant mon nom !

A l’heure dite, j’étais au rendez-vous. Sans préambule, le monsieur m’invita à dîner. Je déclinai l’invitation, alléguant le lapin dont je venais de me régaler. Puis la dame prit la parole. — Monsieur, dit-elle, nous arrivons tout droit de Belgique ; nous avons un fils unique qui, sans nous prévenir, s’est engagé dans la Légion étrangère. C’est un garçon honnête, mais qui se laisse facilement entraîner par ses camarades ; il est d’un tempérament emporté, ce qui l’a probablement conduit où il se trouve maintenant, à la discipline d’El-Oussek.

Elle versait des larmes abondantes. Je fus pris de pitié, et m’efforçai de la consoler.

Savez-vous, — j’ai déjà dit qu’elle était Belge, — continua-t-elle, en pleurant, je l’ai enfanté dans la douleur ; je l’ai élevé, j’ai guidé ses premiers pas dans la vie, à travers des étapes souvent rudes ; et fière de lui, je le vois soudain arraché de mes bras et condamné à une existence misérable.

— Madame, répondis-je, une bonne mère est toujours fière de son fils. Mais, en fait, que désirez-vous de moi ? — Je sais, dit-elle, que vous partez demain