Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/50

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nommé X... qui tenait une épicerie et une cantine dont j’ai gardé un exécrable souvenir. Ce personnage louche, dont nul ne connaissait l’origine, m’inspirait une méfiance instinctive. Il était doublé d’une femme à l’avenant, dont les charmes étaient bien caractérisés par le nom dont on l’avait baptisée : le hibou. Il fallait voir avec quel mépris ce cynique mercanti débitait, contre argent comptant, sa marchandise fraudée ou frelatée. Ce qui ne l’a pas empêché, on le comprend, d’amasser rapidement une jolie fortune.

Le lendemain de mon arrivée à El-Oussek, je faillis être tué par un Arabe dans une circonstance assez bizarre. Ayant un léger dérangement d’intestins, je cherchais à me procurer du lait de chèvre et m’étais rendu dans un gourbi arabe, une bouteille à la main. Un chien, de la race des chacals, qui se tenait à l’entrée me souhaita la bienvenue en sautant sur moi et en déchirant mon veston. Puis, des cris de femme s’étant élevés de l’intérieur, l’animal apaisé regagna sa place et se coucha. J’entrai alors et me trouvai face à face avec une Mauresque d’une beauté rare, avec un visage régulier et pur et des arcades sourcilières un peu relevées, où, dans la noirceur des orbites, des lueurs jaillissaient. Elle portait un costume sombre, très ample. Les pieds nus, elle marchait lentement, comme une déesse ; Incessu patuit dea, aurait dit Virgile. Elle me demanda ce que je voulais. — Du lait, dis-je. — Alors me prenant la bouteille des mains avec un geste d’impatience, elle la remplit. — Hamsa soldi, cinq sous, dit-elle, en me regardant. Tout en la payant, je tâchais d’entamer tant bien que mal une conversation, celle qu’un soldat peut avoir, quand il n’est pas de bois, avec une femme belle et bien plantée. Je supposais que l’entretien était de son goût, car elle se mit à sourire. Soudain elle pousse un cri, en fixant les yeux sur l’entrée. Je me retourne, et j’aperçois un Arabe qui braquait un revolver sur moi. Mais, rapidement, la Mauresque s’était précipitée sur lui, lui avait arraché