Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/57

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midi, la chaleur devenant excessive, je grimpai sur l'un d'eux. Mais la bête, déjà suffisamment chargée, n'entendait pas de cette oreille-là. Après avoir fait quelques centaines de mètres d'un pas saccadé, un pas de chameau qui me faisait osciller comme sur une balançoire, l'animal, d'une secousse brusque et sans daigner me prévenir, me jeta à terre. Il fallut donc marcher quand même, car je ne pouvais pas planter là les bagages du lieutenant. Je m'appuyais sur mon fusil en faisant de temps en temps quelques belles grimaces. C'est dans cet état que j'arrivai à cinq heures du soir à Tiaret, avec 65 kilomètres dans les jambes, ayant marché de quatre heures du matin jusqu'à cinq heures du soir.

A quelques kilomètres de Tiaret, je rencontrai le lieutenant ; toujours bienveillant, il m'apportait une bouteille de vin, du jambon, du fromage, du pain ; mais je ne me sentais guère en appétit, ayant avalé trop de poussière dans la journée. Par amour-propre, je ne voulus rien lui raconter de mon aventure du chameau et je fis des efforts pour marcher droit, malgré la raideur de mes jambes. Plus tard, dans chacune de mes campagnes, ma vie fut en danger en plusieurs circonstances ; et jamais, par suite de cet amour-propre têtu et invétéré, je n'en rendis compte à mes chefs.

Le lendemain nous prîmes le train, ce fameux train de première et deuxième classes attelé de deux formidables locomotives, à destination de Saïda.

De Saïda, le lieutenant partit pour Bel-Abbès. Je ne pouvais l'accompagner, car le bataillon était au complet ; je devais attendre le prochain détachement pour le Dahomey. En prenant congé de mon chef, je fus pris d'une véritable tristesse et sentis toute la sympathie qu'il m'inspirait. Ce que j'éprouvais ne se raisonne pas ; ce qui vient du cœur est trop mystérieux pour qu'on puisse l'analyser. En me serrant la main, il souriait, moi je pleurais. De Saïda, on m'envoya en