Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/86

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En dehors des reconnaissances, je m’ennuyais mortellement dans ce poste de Godomey. On se couchait à la tombée de la nuit. Nos cases étaient éclairées par de petites lampes à huile que nous fabriquions avec des boîtes en fer-blanc. Un bout de chiffon quelconque, imbibé d’huile de palme, formait la mèche. J’ai passé plus d’une fois des nuits blanches, en me roulant sur les planches du lit de camp ; les moustiques, qui pullulaient, se chargeaient de nous tenir en éveil, soit par des piqûres douloureuses, soit par leur bruissement étourdissant. Le poste n’était pas encore pourvu de moustiquaires ni de matelas. Le matin on se levait avec le jour. C’était la solitude… cette solitude que le soldat colonial connaît trop souvent et qui le met parfois à une dure épreuve. Un jour, ne sachant que faire, j’allai jusqu’à la forêt, qui se trouve à deux kilomètres environ du poste. Auprès de cette forêt, s’étend un lac assez vaste que les piétons se rendant à Abomey-Calavi sont obligés de traverser sur des pirogues.

Les femmes y venaient aussi avec leurs cruches ou calebasses sur la tête, portant leurs enfants sur le dos. Je m’apprêtais à détacher une pirogue pour me promener sur l’eau, quand survint une jeune négresse que j’avais déjà vue plusieurs fois. C’était la femme d’un employé de factorerie à Godomey, M. X…, que je connaissais un peu. Elle savait quelques mots d’anglais et me demanda si je voulais la prendre dans ma pirogue, ajoutant qu’elle savait ramer. J’acceptai. Elle m’engagea à prendre la droite, disant que l’endroit était joli ; mais il était difficile d’avancer, à cause des herbes. — Arrêtons-nous, dit-elle. — Puis tout d’un coup, je sens ses lèvres sur les miennes et ses bras à mon cou. J’ai compris. — Non, dis-je, tu es la femme d’un blanc, c’est très mal de ta part. Je ne lui dirai rien, mais ne recommence pas ; s’il le savait, je ne répondrais de rien. Il te tuerait. — Elle se mit à pleurer, sans mot dire, m’aidant à ramer jusqu’à l’endroit