Page:Leopardi - La Poésie, trad. Lacaussade, 1889.djvu/255

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La lave roule, arrive, envahit la campagne :
Rouge inondation, dans sa lente fureur,
Elle avance épanchant la flamme et la terreur ;
Et, consommant bientôt son œuvre de ravage,
Submerge ces cités debout sur le rivage,
Dont les frontons de marbre et les flèches de fer
Du fond d’un ciel serein se miraient dans la mer…
La chèvre aujourd’hui broute au milieu des ruines ;
De nouvelles cités sur ces plages marines
Recouvrent du passé les splendides abris,
Dont le Vésuve altier foule aux pieds les débris.
La nature marâtre, à nos maux insensible,
Ministre aveugle et sourd du Destin ennemi,
Broyant tout ce qui vit dans sa marche impassible,
En un mépris égal tient l’homme et la fourmi.
 
Depuis dix-huit cents ans, des villes populeuses
Ont sombré sous le flux de ces laves houleuses ;
Et le dur paysan, pour sa vigne anxieux,
Sa vigne que nourrit à peine un sol de cendre,
Lève encore et souvent un regard soucieux
Vers ce mont d’où pour lui tout à coup peut descendre
La ruine et la mort comme au temps des aïeux.
Des siècles sont passés, et la cime embrasée
Est toujours là debout, terrible, inapaisée,
Menaçant de ses flots dont bout le réservoir,
Lui, son humble famille, et leur modeste avoir.
Souvent toute la nuit veillant dans les ténèbres,
Il épie en son cours le fléau ravageur