Page:Leopardi - La Poésie, trad. Lacaussade, 1889.djvu/260

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Les arbres frémissaient au soufflé frais du vent,
Et le rossignol noir blotti sous les branchages,
Oiseau plaintif, chantait près de son nid mouvant.
L’accompagnant tout bas de ses légers murmures,
Au pied des troncs moussus jonchés de feuilles mûres,
Le ruisseau s’en allait d’un cours tranquille et lent.
La mer était limpide au loin ; et les campagnes,
Les collines, les bois étageant leur contour,
Et, dans le bleu du ciel, les cimes des montagnes
À ses regards songeurs se montraient tour à tour.
La plaine reposait dans une ombre paisible,
Et la lune, amenant la rosée invisible,
Revêtait de blancheur les coteaux d’alentour.
Sur le sentier muet la pensive amoureuse
Cheminait, et le vent tout chargé de senteur
Caressait de son front la pâleur langoureuse.
Ne lui demandez pas si son âme est heureuse :
Ce beau lieu l’enivrait ; puis, quel autre bonheur
Plus ineffable encor lui promettait son cœur !
Comme vous passez tôt, belles heures sereines !
Le bonheur se mesure à sa fragilité.
Souvent l’orage éclate où chantaient les Sirènes ;
En un instant l’éclair détruit tout un été :
Rien ne dure ici-bas si ce n’est l’espérance.
Voici que la nuit perd sa belle transparence,
Si belle tout à l’heure ! Une lourde vapeur
L’envahit et la trouble ; et, prise de stupeur,
La jeune Dame sent, mortelle défaillance,
Que sa rêveuse ivresse a fait place à la peur.