Page:Leopardi - La Poésie, trad. Lacaussade, 1889.djvu/63

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

D’Anthéla, d’où les Grecs, s’élançant à la mort,
Avaient vaincu le nombre et désarmé le sort,
Simonide montait, l’aède au chant austère,
Contemplant tour à tour le ciel, la mer, la terre !

Le visage d’orgueil et de pleurs ruisselant,
Et l’âme haletante, et le pied chancelant,
Le grand vieillard disait : « Heureuses les poitrines
Offertes vaillamment au dard des javelines !
Trois fois heureux, ô vous qui mourez par amour
De la terre sacrée où vous vîtes le jour,
Vous que la Grèce honore et que le monde admire !
Quel amour, enflammant d’héroïque délire
Vos jeunes cœurs, vous fit dans le péril certain
Vous lancer, souriant à votre amer destin ?…
Douce et belle, ô patrie, est la mort pour qui t’aime !
Joyeuse vous parut, ô fils, l’heure suprême
Où, courant à la mort comme on court au plaisir,
Aux danses, aux banquets, aux fêtes du loisir,
Où, volant à la mort d’un radieux visage,
Vous avez affronté le triste et dur passage
Qui mène au noir Ténare, au fleuve aux mornes eaux,
Où l’oubli, sombre fleur, croît parmi les roseaux.
A vos côtés, hélas ! ni vos sœurs, ni vos mères,
Ne vous ont assistés dans vos affres amères,
Quand sur ces âpres bords d’un sang jeune fumants,
Vous mourûtes sans pleurs et sans gémissements,…
Mais non pas sans vengeance ! — Immortelle vengeance !
Angoisse et châtiment d’une agressive engeance !