Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t1, 1880, trad. Aulard.djvu/283

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Ce jour, qui maintenant fait place au soir, est un jour de fête pour notre bourg. Tu entends dans l’air serein un son de cloches, tu entends résonner souvent des coups de feu qui retentissent au loin de villa en villa. Toute la jeunesse du lieu, vêtue de fête, sort des maisons et se répand par les rues. Elle voit, elle est vue et elle se réjouit dans son cœur. Moi, solitaire, je sors dans ce coin désert de la campagne, je remets à un autre temps tout plaisir et tout jeu, et cependant mon regard étendu dans l’air brillant est frappé par le soleil qui, à travers les monts lointains, après ce jour serein, tombe et s’éloigne et semble dire que l’heureuse jeunesse s’en va.

Toi, oiseau solitaire, venu au soir de la vie que te donneront les étoiles, tu ne te plaindras certes pas de ta condition : car tous vos désirs sont le fruit de la nature. Moi, si je n’obtiens pas d’éviter le seuil odieux de la vieillesse, quand mes yeux seront muets au cœur d’autrui, que le monde sera vide pour eux, que le lendemain sera plus ennuyeux et plus importun que le jour présent, que penserai-je alors de mes désirs d’aujourd’hui, de ces miennes années et de moi-même ? Ah ! je me repentirai, et souvent, mais désolé, je me retournerai vers le passé.