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XI

LE PASSEREAU SOLITAIRE.

(Publié en 1836.)


Sur le sommet de la tour antique, passereau solitaire, tu vas chantant à la campagne tant que le jour ne meurt pas, et l’harmonie erre par cette vallée. À l’entour, le printemps brille dans l’air et s’égaie dans les campagnes, si bien qu’à le voir le cœur s’attendrit. Tu entends bêler les troupeaux, mugir les bœufs. Les autres oiseaux, contents, font ensemble à l’envi mille cercles dans le ciel libre : ils fêtent leur meilleur temps. Toi, pensif, à l’écart, tu regardes tout cela : sans compagnons, sans vol dédaigneux de l’allégresse, tu évites ces passe-temps. Tu chantes et tu passes ainsi la plus belle fleur de l’année et de ta vie.

Hélas ! combien ton caractère ressemble au mien. Distractions et rires, douce famille de l’âge tendre, et toi, frère de la jeunesse, Amour, regret douloureux de la vieillesse, je ne me soucie pas de vous, je ne sais comment. Que dis-je ? je vous fuis bien loin : comme solitaire et étranger dans mon pays natal, je passe le printemps de ma vie.