Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t1, 1880, trad. Aulard.djvu/289

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pensées et le sommeil les enveloppe, dit-elle. Je suis morte, et tu m’as vue pour la dernière fois, il y a plusieurs lunes. » À ces mots, une douleur immense m’oppressa la poitrine. Elle poursuivit : « Je m’éteignis dans la fleur des ans, quand la vie est la plus douce et avant l’âge où le cœur s’assure que toute humaine espérance est vaine. Le mortel qui souffre en vient vite à désirer celle qui le tire de tout chagrin : mais désolante est la venue de la mort pour les jeunes, et dur est le destin de cette espérance qui va s’éteindre sous terre. Il est vain de savoir ce que la nature cache aux inexpérimentés de la vie et la douleur aveugle l’emporte de beaucoup sur une sagesse prématurée. — Ô infortunée ! ô bien-aimée ! tais-toi, tais-toi, lui dis-je : tu me brises le cœur avec ces paroles. Donc tu es morte, ô mon amie, et je suis vivant, et il était écrit dans le ciel que ton corps tendre et chéri devait éprouver les sueurs suprêmes, tandis que ma misérable enveloppe resterait intacte ! Oh ! combien de fois, en pensant que tu n’es plus et qu’il ne m’arrivera jamais de te revoir en ce monde, je ne puis y croire. Hélas ! hélas ! quelle chose est ce qu’on appelle la mort ? Que ne puis-je aujourd’hui l’apprendre par expérience et soustraire ma faible tête aux haines atroces de la destinée ! Je suis jeune, mais ma jeunesse se consume et se perd comme une vieillesse : la vieillesse ! je la crains, et pourtant j’en