Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t1, 1880, trad. Aulard.djvu/290

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suis bien loin. Mais la fleur de mon âge en diffère si peu ! — Nous naquîmes tous deux pour les larmes, dit-elle ; la félicité n’a pas ri à notre vie, et le ciel s’est complu à nos chagrins. — Si maintenant, ajoutai-je, mes cils se voilent de larmes et mon visage de pâleur à cause de ton départ, et si je sens mon cœur lourd d’angoisse, dis-moi : aucune étincelle d’amour ou de pitié pour ton malheureux amant n’atteignit-elle ton cœur, pendant que tu vécus ? Alors je passais mes nuits et mes jours à désespérer et à espérer ; aujourd’hui mon âme se fatigue dans le doute vain. Si une seule fois tu eus compassion de ma vie misérable, ne me le cache pas, je t’en prie, et que le souvenir me console, maintenant que l’avenir est enlevé à nos jours. » Et elle : « Console-toi, ô infortuné ! Je ne te fus point avare de pitié, tant que je vécus, et je ne t’en suis pas avare maintenant : car j’ai été malheureuse, moi aussi. Ne te plains pas d’une malheureuse enfant. — Par nos malheurs et par l’amour qui me consume, m’écriai-je, par le nom chéri de la jeunesse et l’espoir perdu de nos jours, permets, ô aimée, que je touche ta main. » Et elle, d’un geste doux et triste, me la tendait. Pendant que je la couvre de baisers, que, palpitant d’une joie douloureuse, je la serre sur mon sein haletant, ma figure et ma poitrine se trempent de sueur, ma voix s’arrête dans ma gorge, le jour vacille devant mes yeux. Elle fixa tendre-