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Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t2, 1880, trad. Aulard.djvu/26

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aucun prix pour l’homme. Oisiveté sont les nuits et les jours que passe le navigateur ; oisiveté, les sueurs incessantes des usines ; oisiveté, les veilles des guerriers et les périls des armes ; oisiveté, la vie de l’avide marchand : car aucun d’eux, par ses soins, ses sueurs, ses veilles ou ses périls, n’acquiert la belle félicité, que seule désire et cherche la nature mortelle. Cependant, comme remède à l’âpre désir de bonheur qui depuis la naissance du monde fait soupirer en vain les mortels, la nature avait placé dans notre vie malheureuse diverses nécessités auxquelles on ne pût pourvoir sans travail et sans souci, afin que, si la journée ne pouvait être heureuse, elle fût du moins remplie pour l’humaine famille et que le désir, ainsi agité et troublé, fît moins souffrir le cœur. Ainsi la foule infinie des animaux, qui porte dans son cœur, au même degré que nous, cet unique désir, appliquée aux besoins de sa vie, passe le temps moins tristement et moins lourdement que nous et n’accuse pas les heures de paresse. Mais nous, qui confions aux bras d’autrui le soin de notre vie, nous avons un besoin plus grave, auquel seuls nous pouvons pourvoir et que nous ne satisfaisons pas sans ennui et sans peine : je parle de la nécessité de passer notre vie, dure, invincible nécessité, à laquelle ni les trésors, ni les nombreux troupeaux, ni les champs fertiles, ni la cour, ni le manteau de pourpre ne peuvent soustraire la race humaine.