Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t2, 1880, trad. Aulard.djvu/41

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au milieu des ennuis, ô fleur unique de ma vie aride.

Le vent apporte le son de l’horloge de la tour du village. Ce son, je m’en souviens, était une consolation pour mes nuits, quand, enfant, dans ma chambre sombre, de perpétuelles terreurs me faisaient veiller en soupirant jusqu’au matin. Je ne vois et je ne sens rien ici qui ne ramène en moi une image d’autrefois et dont il ne sorte un doux souvenir. Doux par lui-même : mais avec douleur survient alors la pensée du présent, avec un vain regret du passé, quoique triste, et ce mot : « Je fus. » Cette terrasse-là, tournée vers les derniers rayons du jour, ces murailles peintes, représentant des troupeaux et le soleil qui naît sur la campagne déserte peuplaient mes loisirs de mille délices, alors que l’illusion souveraine était à mes côtés et me parlait, où que je fusse. Dans ces salles antiques, au reflet des neiges, quand le vent sifflait autour des hautes fenêtres, retentirent mes jeux et mes cris de joie, à l’âge où le cruel, l’indigne mystère des choses, se montre à nous plein de douceur. L’adolescent, comme un amant inexpérimenté, fait les yeux doux à sa vie trompeuse, encore intacte et entière, et admire une beauté céleste qu’il imagine.

Ô espérances, espérances ! douces erreurs de mon premier âge ! toujours en mes dires je reviens à vous : car j’ai beau avancer en âge, j’ai beau