Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t2, 1880, trad. Aulard.djvu/42

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changer de sentiments et de pensées, je ne sais pas vous oublier. Fantômes, j’entends, sont la gloire et l’honneur ; plaisirs et biens, purs désirs ; la vie n’a pas un fruit, inutile misère. Et bien que vides soient mes années, bien que désert, obscur, soit mon état mortel, peu m’a enlevé la fortune, je le vois bien. Ah ! mais souvent je repense à vous, ô mes espérances anciennes, ô mes premières et chères imaginations ! Puis je regarde ma vie si vile et si dolente, et je songe que de tant d’espérances la mort est la seule qui me reste ; je sens mon cœur se serrer, je sens qu’en somme je ne puis me consoler de mon destin. Et quand cette mort si invoquée sera près de moi et qu’arrivera la fin de mes malheurs ; quand la terre me deviendra une vallée étrangère et que l’avenir fuira de mon regard, je me souviendrai certainement de vous ; cette image me fera encore soupirer, me rendra cruel d’avoir vécu en vain et mêlera d’ennui la douceur du jour fatal.

Déjà dans ma jeunesse, dans le premier tumulte des joies, des angoisses et des regrets, j’appelai la mort plus d’une fois et je m’assis longtemps, là, près de la fontaine, songeant à finir dans ces eaux mon espérance et ma douleur. Puis, amené en danger de mort par une maladie mystérieuse, je pleurai ma belle jeunesse et la fleur de mes pauvres jours qui tombait si tôt, et souvent, aux heures tardives, assis sur mon lit complice de mes dou-