Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t2, 1880, trad. Aulard.djvu/48

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être frêle, un autre tirera peut-être quelque bien ou quelque joie : mais, pour moi, la vie m’est un mal.

Ô mon troupeau qui te reposes, oh ! que tu es heureux ! car tu ignores, je crois, ta misère ! Quelle envie je te porte ! non seulement parce que tu oublies aussitôt tout accident, tout dommage, toute crainte, même extrême, mais surtout parce que jamais tu n’éprouves l’ennui. Quand tu te poses à l’ombre, sur l’herbe, tu es tranquille et content et, dans cet état, tu passes sans ennui une grande partie de l’année. Mais moi, quand je me couche sur l’herbe, à l’ombre, un ennui m’assombrit l’âme et un aiguillon me pique, si bien qu’ainsi couché je suis plus loin que jamais de trouver la paix ou la stabilité. Et pourtant je ne désire rien et je n’ai pas jusqu’ici de cause de larmes. Quel est la nature ou le degré de ton plaisir, je ne puis le dire : mais tu es heureux. Et moi j’ai encore peu de plaisir, et ce n’est pas mon seul sujet de plainte. Si tu savais parler, je te demanderais : Dis-moi, pourquoi chaque animal étendu à son aise dans l’oisiveté est-il satisfait, tandis que moi, si je prends du repos, l’ennui m’assaille ?

Peut-être, si j’avais des ailes pour voler au-dessus des nuages et pour compter les étoiles une à une, ou si j’errais comme le tonnerre de sommet en sommet, peut-être serais-je plus heureux, ô