Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t2, 1880, trad. Aulard.djvu/56

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pour l’indignation. Cet âge superbe, qui de vaines espérances se nourrit, épris de riens et ennemi de la vertu, sot qui réclame l’utile et ne voit pas que la vie devient toujours plus inutile ; je me sens plus grand que lui. Je méprise les jugements humains ; et le vulgaire inconstant, ennemi des belles pensées, et ton digne contempteur (ô ma pensée), je le foule aux pieds.

Quelle passion ne le cède à celle dont tu procèdes ? Que dis-je ? quelle autre passion se trouve parmi les mortels ? L’avarice, l’orgueil, la haine, la colère, le désir des honneurs et du trône, ne sont que caprices auprès d’elle. Une seule passion vit parmi nous : les lois éternelles donnèrent au cœur humain cette seule souveraine toute-puissante.

La vie n’a pas de prix, la vie n’a pas de raison d’être sinon par elle, par elle pour qui l’homme est tout : seule elle disculpe le destin qui nous a mis sur terre, nous autres mortels, pour souffrir tant, sans autre fruit : par elle seule quelquefois, non pour les sottes gens, mais pour les cœurs nobles, la vie est plus belle que la mort.

Pour cueillir tes joies, douce pensée, ce ne fut pas trop d’éprouver les souffrances humaines et de supporter cette vie mortelle pendant de longues années ; et au besoin, tel que je suis, avec l’expérience de nos maux, je recommencerais ma carrière en vue d’un tel but. Parmi les sables et les