Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t2, 1880, trad. Aulard.djvu/70

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tel départ funeste et pour celui qui part de la vie et pour celui qui y reste ? Pourquoi nulle douleur n’est-elle plus difficile à consoler ?

Malheureuse où qu’elle regarde, malheureuse où qu’elle se tourne, où qu’elle se réfugie, telle est cette race sensible ! Il t’a plu que même l’espérance de la jeunesse fût trompée par la vie : pleine de deuils est la mer de la vie : l’unique délivrance de nos maux, c’est la mort : c’est là l’inévitable but, l’immuable loi que tu as établie pour la carrière humaine. Hélas ! pourquoi, après ce douloureux voyage, ne pas nous rendre l’arrivée joyeuse ? Ce but certain, ce but qu’en vivant nous avons toujours devant l’âme, qui seul a consolé nos maux, pourquoi le voiler de draps noirs et l’entourer d’ombres si tristes ? Pourquoi donner au port un aspect plus épouvantable que celui de tous les flots ?

Si c’est un malheur, cette mort que tu destines à nous tous, que sans notre faute, à notre insu, sans notre consentement, tu abandonnes à la vie, certes le sort de celui qui meurt est enviable pour celui qui sent la mort de ceux qu’il aime. Que si véritablement, comme je le tiens pour assuré, vivre est un malheur et mourir une faveur, qui cependant pourrait jamais, ce qui devrait se faire pourtant, désirer le jour suprême de ceux qu’il aime, pour rester amoindri lui-même ? Qui pourrait voir s’en aller la personne avec laquelle il aurait passé