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Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t2, 1880, trad. Aulard.djvu/80

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éteint par sa mère impie. Voilà, ô noble esprit, les misères extrêmes de l’état mortel : la vieillesse et la mort ont leur principe en nous dès que notre lèvre d’enfant presse le tendre sein qui nous transmet la vie : le joyeux dix-neuvième siècle ne peut pas, je crois, corriger cela, pas plus que ne l’a pu le dixième ou le neuvième et que ne le pourront davantage les âges futurs. Enfin, s’il est permis d’appeler quelquefois la vérité par son nom, tout homme né, n’importe quand, ne sera en somme que malheureux, non seulement dans l’ordre et la vie politiques, mais en tout, et ce mal est inguérissable par son essence et par les lois universelles qui embrassent le ciel et la terre. Mais les esprits sublimes de mon siècle ont trouvé un projet nouveau et presque divin : ne pouvant rendre personne heureux sur terre, ils ont oublié l’homme et se sont mis à rechercher une félicité générale : ils l’ont trouvée aisément et font d’un grand nombre d’hommes, tous tristes et malheureux, un peuple heureux et gai : le troupeau de politiques admire ce miracle, que n’ont pas encore expliqué les pamphlets, les revues et les gazettes.

Ô intelligence, jugement, esprit surhumain de l’âge présent ! Et quelle sûre philosophie, quelle sagesse, ô Gino, nous sont enseignées, dans des sujets encore plus sublimes et plus mystérieux, par mon siècle et le tien ! Avec quelle constance, ce qu’il méprisait hier, il l’adore aujourd’hui