Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t2, 1880, trad. Aulard.djvu/79

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d’exemplaires ; la plaine et la colline, peut-être même la mer immense, comme par une troupe de grues qui cachent tout à coup le jour avec leur vol, seront couvertes par les gazettes, cette âme et cette vie de l’univers, cette unique source de la science pour cet âge-ci et pour l’âge à venir !

Comme un enfant, avec des bouts de papier et de petits morceaux de bois, élève soigneusement un édifice en forme de temple, de tour ou de palais, le regarde un instant et le détruit aussitôt, parce qu’il a besoin de ce bois et de ce papier pour un nouveau travail ; de même la Nature, si sublime à contempler que soit son œuvre, ne la voit pas plutôt parfaite, qu’elle entreprend de la défaire, en en disposant autre part les parties séparées. En vain, pour se préserver, elle et les autres, de ce jeu méchant, dont la raison lui est éternellement cachée, la race mortelle se hâte d’employer mille talents de mille façons diverses avec sa docte main : en dépit de tout effort, la Nature cruelle, enfant invincible, satisfait son caprice et, sans repos, se divertit à détruire et à former. Une famille variée et infinie de maux et de peines incurables accable le fragile mortel, fait pour périr irréparablement ; une force hostile, destructrice, le frappe de tous côtés, au dedans et au dehors, et le suit opiniâtrement depuis le jour de sa naissance ; elle le fatigue et l’abat, elle qui est infatigable, jusqu’à ce qu’il gise, écrasé enfin et