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Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t3, 1880, trad. Aulard.djvu/137

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pourra pour de nombreuses, pour d’innombrables raisons contester cette supériorité que par d’autres motifs nous prétendons avoir sur les animaux : mais on ne trouvera aucune raison de lui enlever cette suprématie que l’antique Homère lui attribuait, je veux dire la suprématie de l’infélicité. Cependant la nature nous a réservé un remède à tous nos maux : la mort, qui serait peu crainte de ceux qui n’ont pas fait grand usage de leur intelligence, et que les autres désireraient. Et ce serait, dans notre vie qui est remplie de douleurs, une consolation bien douce que la pensée et l’attente de notre fin. Mais toi, avec ce doute terrible que tu as suscité dans l’esprit des hommes, tu as ôté à cette pensée toute sa douceur et tu l’as rendue plus amère que toutes les autres. Tu es cause que l’on voit les infortunés mortels craindre le port plus que la tempête et fuir par l’esprit, loin de ce remède et de ce repos uniques, dans les angoisses présentes et dans les déchirements de la vie. Tu as été plus cruel aux hommes que la destinée, la nécessité ou la nature. Et, comme ce doute ne peut se bannir en aucune façon, comme nos esprits n’en peuvent jamais être délivrés, tu as à jamais réduit tes semblables à trouver la mort pleine d’angoisses et plus misérable que la vie. Par ton œuvre, tandis que tous les autres animaux meurent sans aucune crainte, le repos et la tranquillité de l’âme sont exclus