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Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t3, 1880, trad. Aulard.djvu/144

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de l’univers, de prendre garde à notre propre conservation et d’y veiller de toutes les manières, ce qui est précisément le contraire du suicide. Et, en dehors des autres preuves, ne sentons-nous pas que notre inclination naturelle nous fait haïr la mort, la craindre, en avoir horreur, même en dépit de nous-mêmes ? Donc, puisque l’acte de se tuer est contraire à la nature, et y est contraire au point que nous le voyons, je ne saurais jamais me résoudre à croire que cet acte est permis.


Porphyre.

J’ai déjà considéré tout ce côté de la question, et, comme tu l’as dit, il est impossible qu’on ne l’aperçoive pas pour peu qu’on s’arrête à y penser. Il me semble qu’on peut répondre à tes raisons avec beaucoup d’autres : mais je m’efforcerai d’être bref. Tu doutes qu’il nous soit permis de mourir sans nécessité : je te demande s’il nous est permis d’être malheureux. La nature défend de se tuer. Il me paraîtrait étrange que, n’ayant pas la volonté ou le pouvoir de me rendre heureux ou exempt de misère, elle eût la faculté de m’obliger à vivre. Certes, si la nature a mis en nous l’amour de la conservation propre et la haine de la mort, elle ne nous a pas donné moins de haine pour l’infélicité et moins d’amour pour le bonheur : ces inclinations-ci sont même d’autant