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Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t3, 1880, trad. Aulard.djvu/260

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ment parler l’homme ne peut espérer et par conséquent ne doit pas rechercher l’estime de la société, mais celle d’un petit nombre de personnes : quant aux autres, il doit se résigner à en être ignoré ou plus ou moins méprisé : c’est une nécessité inévitable.


XCIV


Celui qui n’est jamais sorti des petits endroits où règnent de petites ambitions, une avarice vulgaire, une haine intense de chacun contre chacun, ne croit à la réalité ni des grands vices ni des vertus sociales sincères et solides. Quant à l’amitié en particulier, il la considère comme appartenant à la poésie et à l’histoire, non à la vie. Il se trompe. Je ne dis pas des Pylades et des Pirithoüs, mais de bons et cordiaux amis se rencontrent réellement dans le monde ; ils ne sont même pas rares. Les services que l’on peut attendre et exiger de tels amis consistent ou en des paroles, qui souvent sont fort utiles ou quelquefois même en actes, rarement en argent : c’est un genre de service que l’homme sage et prudent ne doit pas demander. Il est plus facile de trouver quelqu’un qui mette sa vie en danger pour un étranger que quelqu’un qui dépense, que dis-je ? qui risque un sou pour un ami.