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Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t3, 1880, trad. Aulard.djvu/275

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par nature ou par habitude ne sont ni très héroïques ni très fortes, mais tempérées et douées d’une énergie médiocre, ou encore aux âmes faibles, et par conséquent aux hommes modernes encore plus qu’aux anciens. Je sais bien que ce jugement que j’émets est contraire à l’appréciation universelle : on estime communément que l’exercice de la philosophie stoïque n’est séant et même possible qu’aux esprits virils et énergiques outre mesure. Il me semble en substance que le principe et la raison d’une telle philosophie, et particulièrement de celle d’Épictète, ne sont pas, comme on dit, dans la considération de la force de l’homme, mais dans celle de sa faiblesse ; et semblablement que l’usage et l’utilité de la philosophie en question appartiennent plus proprement à la faiblesse qu’à la force. En effet, cette tranquillité d’âme qu’Épictète veut par-dessus toute chose, cet état libre de passions, ce détachement des choses extérieures ne sont pas autre chose que ce que nous appelons froideur d’âme, insouciance, ou, si l’on veut, indifférence. Or l’utilité de cette disposition et d’une conduite conforme naît seulement de ce que l’homme ne peut, dans sa vie, par aucun moyen, ni atteindre le bonheur ni éviter une continuelle infélicité. Car s’il lui était possible d’arriver à cette fin, il ne serait certes pas utile, ni même raisonnable de s’abstenir de la poursuivre. Si l’on n’y peut arriver, c’est le propre des esprits