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Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t3, 1880, trad. Aulard.djvu/276

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grands et forts de s’obstiner néanmoins à la désirer et à la chercher anxieusement, de résister, au moins au-dedans de soi, à la nécessité, et de faire au destin une guerre féroce et à mort, comme les Sept devant Thèbes d’Eschyle, et comme les autres hommes magnanimes des temps antiques. Le propre des esprits naturellement faibles ou affaiblis par l’usage des maux et la connaissance de la faiblesse naturelle et irréparable des vivants, c’est de céder et de se conformer à la fortune et au destin, de se réduire à ne désirer que peu de chose modestement, ou plutôt, pour ainsi dire, de perdre presque entièrement l’habitude et la faculté, non seulement d’espérer, mais encore de désirer. Si cet état d’inimitié et de guerre avec un pouvoir incomparablement plus grand que celui de l’homme et à jamais invincible ne peut donner aucun fruit, et ne va pas sans trouble, sans travail, sans angoisse et sans une misère lourde et continuelle, au contraire, l’autre état, celui de paix et pour ainsi dire de sujétion de l’âme et de servitude tranquille, quoiqu’il n’ait rien de généreux, est cependant conforme à la raison, séant à la nature mortelle et exempt en grande partie des tracas, des affronts et des douleurs qui ont coutume de tourmenter notre vie. En réalité, pour obtenir cette meilleure condition de vie, et cette seule félicité qui se puisse trouver au monde, les hommes n’ont pas d’autre parti à prendre que de