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Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t3, 1880, trad. Aulard.djvu/77

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chose que ce sommeil où concourent la joie et l’espérance. L’une et l’autre, jusqu’au réveil du jour suivant, se conservent entières et intactes : mais alors elles font défaut ou s’affaiblissent.

Si le sommeil des mortels était perpétuel et ne faisait qu’un avec la vie ; si, sous l’astre du jour, tous les vivants languissaient sur la terre en un repos profond ; si aucun acte ne se manifestait ; si on n’entendait ni le mugissement des bœufs à travers les prés, ni le tumulte des bêtes fauves dans les forêts, ni le chant des oiseaux dans l’air, ni le bourdonnement des papillons ou des abeilles dans la campagne, ni aucune voix d’aucun côté, ni aucun mouvement, si ce n’est ceux des eaux, du vent et des tempêtes, certes l’univers serait inutile ; mais est-ce qu’il s’y trouverait moins de félicité ou plus de misère qu’il ne s’y en trouve aujourd’hui ? Je te le demande, ô soleil auteur du jour et gardien de notre veille : dans l’espace des siècles que tu marques et dont la naissance et la chute ont été consommées jusqu’ici, vis-tu une seule fois un seul des vivants qui fût heureux ? Parmi les œuvres innombrables des mortels que tu as vues jusqu’ici, penses-tu qu’une seule ait atteint son but, c’est-à-dire la satisfaction, durable ou passagère, de la créature qui la produisit ? Vois-tu maintenant ou as-tu vu jamais la félicité dans les limites du monde ? Dans quelle plaine séjourne-t-elle, dans quel bois, dans quelle montagne, dans